❝ ELLE DANSE DANS LE REGARD DES HOMMES COMME UNE ETOILE PERDU DANS L’OBSCURITÉ ❞

Ses pas le mènent sans qu’il n’y prenne garde, il s’enfonce dans les rues d’Acapulco comme chaque soir de liberté qui lui est offert. Offert, il ricane de ses propres pensées. Il préfèrerait ne jamais quitter l’hôpital, il préfèrerait sentir la souffrance du monde lui coller à la peau, l’odeur de la chair lui remplir les poumons. Alex, il ne se sent libre qu’au milieu du chaos ou dans ses bras. L’un lui est refusé ce soir, l’autre lui est interdit pour l’éternité. Ils l’on chassé de sa maison, de son bloc. « Vous passez bien trop de temps dans cet antre de la mort », a décrété son chef avec son accent mexicain à couper au couteau. Qu’aurait-il pu lui répondre à ce connard en costard qui ne foutait plus un pied dans un bloc ? Que contrairement à lui, personne ne l’attendait lorsqu’il quittait cet endroit, personne ne caressait ses muscles en le vénérant de sauver des vies ? Non, assurément, il ne pouvait pas lui dire. Il n’a rien dit d’ailleurs, il a simplement tourné les talons. L’homme refuse les conflits, il refuse de gâcher son énergie à lutter contre les hommes, il a bien trop à faire contre la mort. Une main passe, se glisse dans ces cheveux blonds un peu trop long, elle descend sur sa nuque et masse un instant ces cervicales fatigués. Fatigué, il l’est Alex. Comme jamais, il ne l’a été de sa vie. Il est fatigué de lutter contre plus fort que lui, fatigué d’être la voix de la faucheuse, fatigué d’être seul, fatigué du bonheur des autres, fatigué de vivre. Mélancolique petit garçon, on ne lui avait pas promis ce destin. On lui avait soufflé les armes pour être un homme bien, un homme bon. On avait sans doute juste oublié de lui dire que les hommes biens ne survivent que peu de temps au milieu des hommes. Alex s’est fait loup, loup solitaire, solitaire dans la meute. Il est parfait ce garçon lorsqu’on l’observe de loin, il a le bon nom, le bon sourire, le bon visage, le bon métier, les bons mots qui s’échappent de sa bouche. Malheureusement, c’est l’intérieur qui coince. C’est l’intérieur qui brûle au contact de la réalité. Il aime un peu trop, juste un peu trop. Un rien de trop. Mais ce rien change tout. Ce rien le dévore, le tue à feu doux. Doux comme l’amour qu’il voue à la pécheresse aux cheveux blonds. Quoiqu’il fasse, elle hante son âme. Le jeune homme s’immobilise devant un bar, il est quelconque pour la ville, il est sordide pour sa patrie. Il entre sans se poser de question, des questions il en a bien assez dans la tête pour en ajouter des supplémentaires sur un simple bordel mexicain.

Le monde cessa d’exister à la seconde où il posa pied dans le lugubre établissement. Le temps ralentis sa course infernale à mesure que ses poumons s’emplissaient d'une fragrance coutumière. Devenu statut de sel et d’amour, il ne pouvait détacher les yeux de l’étoile qui brillait doucement vers le bar, entouré d’une nuée de papillon attiré par sa lumière.

❝ Nos âmes amies amantes aimantées l'une à l'autre
Galopaient ensemble et dansaient et chantaient;
Ces deux enfants qui s'étaient rencontrés
Sont cette nuit perdus dans les dunes et grelottent ❞

❝ ELLE DANSE DANS LE REGARD DES HOMMES COMME UNE ETOILE PERDU DANS L’OBSCURITÉ  ❞

Coincé sur le seuil, scellé au parquet collant. Plus rien n'existe, le monde cesse de tourner. Il ne voit plus que la lueur pâle de son âme qui l'attire à lui, irrémédiablement. Un pas en avant, et le sol se met à tanguer. La puissance de l'Ailleurs lui écrase l'âme. L'Ailleurs est ici. L'Ailleurs est en face de lui. L'Ailleurs n'existe plus. Loe est là. Dans sa sphère à lui, enfin pas tout à fait, elle l'effleure simplement. L'Alex prend une inspiration tremblante. Il sent la barrière de la distance claquer contre son corps. Conscience troublante de son impuissance. Amoureux du désamour personnifié, son enfer prend vie. Elle, devant lui, avec les autres. Important son poison dans son refuge de souffrance atténuée. Ses paupières recouvrent ses iris, tentative malhabile pour préserver son coeur morceler depuis bien longtemps.

Inspiration instable, prise de courage inexistant. L'Alex se sent devenir un autre, un de ceux qui l'approche, sans émotion. Inhibition sentimentale, un pas après l'autre, à mesure qu'il s'approche d'elle, il se transforme. Il sent le contrôle lui revenir, couler dans ses veines comme un puissant élixir. Mutation incroyable, l'invisible devient visible. Mieux encore, il se sent irradier. Se glissant près de la chaise sur laquelle elle éblouie son auditoire, il repousse le verre aux couleurs chatoyantes qu'elle allait se saisir. Leur yeux se plongent l'un dans l'autre, et il sent pour la première, qu'il l'atteint. Qu'il pénètre dans ce lieu, qui lui était jadis interdit. Le coeur même de ses émotions, le centre névralgique de la vie. « C'est moi, Loe, moi et pas un autre ». Ces mots qui s'échappent de sa bouche, l'Alex, il rêve de les prononcer depuis si longtemps, tellement longtemps que sa voix tremble un peu lorsqu'ils s'échappent. Sa main se glisse contre sa joue, s'imprègne de sa douceur. Aujourd'hui, son regard glacial ne le dupe pas. Il sent cet amour, cet amour dont il rêve depuis des années.

Eclat de rire familier, explosant sa rêverie comme un verre de cristal chutant. Alex sursaute. Toujours figé. Toujours au même endroit. Toujours bloqué, simplement lui. Il n'est pas un des autres, il ne sera jamais un autre. Fantasme mirifique d'un esprit amoureux malade mutilé par des lèvres rosées. Inutile de l'ignorer, il est le poupon délaissé, oublier, torturer de la jolie luciole qui papillonne a quelques mètres à peine de lui. Nouveau soupire, le corps féminin l'effleure avant qu'il ne se décide à bouger. L'esprit encore assommé par sa rêverie, il se laisse tomber sur une chaise, sans jamais la perdre des yeux. Une barmaid vient à sa rencontre et dépose devant lui un verre, d'un hochement de la tête il la remercie. Triple tequila sec, son habitude. Son exutoire à la blondasse jouant les pétasses. Un sourire sans joie étire les lèvres lasses du sauveur de vie, qu'est-il devenu ? Que lui a-t-elle fait, cette sorcière ? Que lui a-t-il laissé lui faire ? Portant son verre à ses lèvres, l'Alex ne quitte pas des yeux le jeu macabre qui se joue devant lui. Il s'enivre de son manège avec les hommes, ses immondes tas de chairs transpirant l'envie, bavant presque sur sa peau délicate tant ils cherchent tous à se l'approprier. Excédé, nauséeux, il tire de sa poche un paquet de cigarette a moitié vide. L'espace d'une seconde, il se souvient que quelques années plutôt il aurait trouvé son paquet a moitié plein. Hasard des mots, défilé incongru de penser. Alex n'ignore pas que ce minuscule détail n'est qu'une séquelle de plus de son addiction destructrice. Là où d'autre s'entiche de l'alcool ou de drogue, lui s'est assujettis aux caprices d'une gamine méprisant son adoration pour sa personne. Un tube de la mort à la main, de la fumée plein la bouche, le goût acre du dégoût collé à la langue, Alex attend. Il attend d'exister. D'exister pour elle. Que peut-il faire d'autre, lui qui est bien incapable de lui tourner de le dos ?



c'est assez particulier comme réponse, je sais