Lorsque je vais en ville, j'ai des bourdonnements dans la tête. C'est dû à l'agitation, à la population, à la circulation (...). C'est insupportable. Le calme, le silence, c'est mon remède miracle. À une époque j'aurais été plus du genre à me jeter dans la foule, à suivre le mouvement et à aller là où il y a du monde et du bruit. Cette époque, j'ai l'impression que c'était hier. Du jour au lendemain, c'est le néant et je me retrouve plus âgé, différent. Mes seuls souvenirs de cette ville, sont ceux de mon arrivée. Les rencontres que j'ai faites, les filles que j'ai pu sauter, les soirées arrosées auxquelles j'ai participé, je ne m'en souviens pas. C'est casse-tête et frustrant. Sauf que je n'ai pas trop le choix que de faire avec. L'accident que j'ai eu m'a handicapé, sans doute à vie. Même si les médecins disent qu'un jour, ils vont revenir, les souvenirs, j'en doute. Du coup je préfère ne pas me poser de questions. Je me dis que je n'ai pas dû vivre tant de choses extraordinaires, ou du moins qui valent le coup de s'en souvenir. Si seulement je savais, je ne penserais pas ça. Mais je ne m'en rappelle pas. Étouffée dans la foule qu'il y a dans le centre ville, je finis par m'éloigner de cette agitation pour me trouver un coin tranquille où je pourrais me sentir apaisé et non compressé telle une sardine en boite. Je marche et j'ai une idée de lieu en tête. Bien qu'à mon réveil je me suis senti perdu dans cette ville qui m'était encore inconnue, j'ai rapidement pris mes marques et retrouver mon chemin. Je me suis pris un nouveau logement, un nouveau job. Je n'ai pas d'autres choix que de recommencer ma vie à zéro. Mes pieds m'emmènent vers la plage où à cette heure-ci les touristes quittent les lieux. Le soleil va bientôt se coucher et il n'y a que quelques couples à se balader au bord de la mer. Étant seul et ayant besoin de me poser, je décide de m'installer non loin de l'eau sur le sable. Les yeux clos, la tête légèrement penchée en arrière, je tente de me souvenir. Même si je sais que c'est une cause perdue, je me vois essayer de temps à autre. Qui sait, peut-être qu'un jour ça marchera et que mes souvenirs vont revenir. J'ai de l'espoir. Je suis tranquillement posé, la tête ailleurs, lorsque soudain j'entends mon prénom. La voix se rapproche et le ton est celui d'une femme en colère, mais également surprise. « Quentin, Quentin, Quentin ... ! ». Elle continue de m'appeler et je décide d'ouvrir les yeux pour faire face à mon interlocutrice. Je la regarde perplexe, son visage ne me dit rien. Qui est cette inconnue ? Bonne question, mais à son air froissé, elle ne semble pas être ravie de me voir.

J'apprécie ce calme apparent avec pour fond sonore le cliquetis des vagues. Mon esprit est apaisé. Il m'arrive fréquemment de ressentir d'affreuses douleurs à la tête et qui sont le contre-coup de l'accident. Je cherche donc à cicatriser ces blessures avec pour remède, le silence. Une sérénité que j'apprécie, mais qui va être de courte durée. Car peu de temps après m'être installé sur la plage, j'entends une femme m'interpeller. Celle-ci répète à plusieurs reprises mon prénom. Le prénom qu'on m'a donné à l'hôpital et qui de toute évidence est le mien. La femme en question s'approche de ma position avant de me faire face. J'aperçois de la tristesse dans son regard, beaucoup d'émotions. J'attends qu'elle s'exprime à nouveau, qu'elle me dise quelque chose qui puisse m'éclairer sur son identité, mais plus rien. Le silence à nouveau. On se regarde dans le blanc des yeux comme si on attendait un geste de la part de l'autre. Puis soudain elle se saisie de ma tête et scelle nos lèvres en un baiser. Chamboulé, perturbé, je me fige et je me laisse faire. D'un côté cette charmante demoiselle embrasse délicieusement bien et je suis un garçon, donc j'en profite. Mais rapidement je m'interroge sur le but de ce baiser. Que cherche-t-elle ? Qu'attend-elle de ma part ? Un retour des choses ? Trop de questions. Je la saisis par les épaules et je la recule de mon visage. J'interromps ce baiser qui pourtant m'a offert tant de sensations. La chaire de poule, le coeur qui s'emballe, les idées qui se mélangent, (...) tant d'effets inexplicables pour mon cerveau. Je reste muet pendant plusieurs secondes. En réalité, je cherche mes mots. Je suis gêné. Ce fut certes un agréable moment, mais ce fut aussi déconcertant. Finalement je me décide à lui parler. « Par.. pardon, mais ... vous embrassez divinement bien ! ». J'affiche alors un sourire amusé. J'ai beau avoir la tête tourmenté, ça ne m'empêche pas d'être moi-même. Le grand gamin joueur, un peu crétin et beau-parleur. Mon attitude change de A à Z. Mais étant donné que je ne me rappelle pas de l'homme que j'étais devenu, je redeviens celui que j'étais avant. Un petit con un peu branleur. D'ailleurs j'en profite pour tenter d'embrasser à nouveau la demoiselle, mais celle-ci me rejette. « Il ne faut pas faire ta farouche ma jolie, il y a deux secondes tu te jetais dans mes bras .., d'ailleurs comment tu connais mon prénom ? ». Question bête, mais plutôt utile. Qui sait, c'est peut-être une bombe que j'ai mis dans mon lit.