« I bambini, interrompere la vostra merda! ». Ricanant ensemble et se donnant à coeur joie pour insupporter davantage notre vieux, on se dissimule dans un coin de pénombre afin de se cacher. Elle a le don de m'emporter dans sa connerie à chaque fois. Je suis plutôt un garçon timide, réservé et qui se fait régulièrement marcher dessus. Je n'ai aucun répondant, aucun caractère. Je suis une larve. Mais je le vis bien. J'ai une famille, des amis (plus ou moins), j'ai l'essentiel pour vivre aisément et avec le sourire. Sauf qu'il est toujours là pour me rappeler le moins que rien que je suis. Son rôle est au contraire de me supporter, m'encourager, m'aider. Mais il fait tout le contraire. Il me rabaisse, m'humilie constamment. Du coup je prends un malin plaisir à lui rendre la vie impossible avec ma soeur, ma jumelle, mon autre moitié. Encore une fois, nous fuyons sa rage, sa colère. Et on est fière de notre bêtise. Jubilant et savourant, je me sens soudainement traîné au sol. On vient de m'empoigner par le col, puis on me trimbale jusqu'au petit salon. Il nous a retrouvé. Il crie si fort, parle si vite, enchaîne tant d'insulte, que je ne comprends pas un piètre mot de ce qu'il raconte. Me pensant au moment présent plus malin, je ricane. Oui, je lui ricane au nez. Ses sourcils plissés, ses narines dilatées, il titille le bout de sa moustache tout en m'observant de son oeil assassin. Je n'aurais pas dû. « Ce n'est pas de sa faute, c'est de la mienne. Je l'ai entraînée, Padre, per favore ... ». Sauf qu'il a déjà choisi son coupable. Je le suis sans cesse. Kae est comme sa chouchoute, son petit bébé. Jamais il ne pourra s'emporter sur elle. Par contre sur moi, l'indigne fils qu'il doit se trimbaler et dont il en a honte, je fais le parfait fautif à chaque connerie qu'on fait. Le voyant prendre de l'élan en rabattant sa main en arrière, je sens celle-ci brasser le vent avant d'atterrir sur ma joue. Le contact avec ma peau provoque un claquement assourdissant et laisse apparaître une tâche rosée. Je n'ose même pas le regarder dans les yeux et c'est, tête baissée que je m'enfuis dans ma chambre. Je le déteste. Il me rend la vie insupportable. Il me donne envie de m'en aller. Loin, très, très loin d'ici. Sauf que je n'en ai pas la force. Je ne suis qu'un gamin de huit ans.


Elle est mon rock, mon pilier, celle qui me fait sentir vivant, fort, invincible. Elle est mon unique amie depuis le bac à sable. Nous voilà au collège et elle fait tourner la tête de tous les garçons. Ils sont à ses pieds, prêt à être son esclave pour qu'elle daigne leur adresser un sourire, un regard. Elle dégage une aura dévastatrice. Elle ne passe pas inaperçue, mais se fout de tout. Elle ne vit que pour elle et ceux qu'elle aide. Car elle est loin du cliché de la sublime fille populaire à traîner avec sa bande, fumer des joints dans les buissons, (...). Elle préfère être en compagnie de mecs disons plus normaux, ou des inadaptés dans mon genre. Quoi que depuis que je la connais, je me transforme. Je prends de la confiance. Elle me donne un peu de sa force et m'aide à m'imposer. Car lorsque nous étions petits, elle venait me défendre contre les brutes de l'école et les tabassait. Elle n'a jamais eu froid aux yeux. C'est une petite teigne à qui on ne peut pas dicter la conduite. Elle fait ce qu'elle veut. J'ai toujours admiré son sang froid. Voilà pourquoi je me retrouve face à elle, à bégayer, les mains moites et à ne plus savoir quoi dire, quoi faire. En réalité, je n'ose pas lui annoncer que je m'en vais. Je ne supporte plus la pression familiale et je désire rejoindre ma soeur chez notre oncle à Santa Rosa. Je veux mettre à exécution mon plus fort désir, celui de quitter ces lieux. Sauf que je ne pensais pas que la tâche serait si complexe. Je tiens à elle. Et pourtant, je vais l'abandonner. « Bon Vantini, tu accouches ! ». Elle n'a jamais été très patiente. Elle me fixe de ses petits yeux amandes et de sa bouche en coeur. Cela me met davantage la pression. Sauf qu'avec son regard insistant, je finis par lâcher dans un souffle. « Je m'en vais ... ». Je ne pensais pas vivre assez longtemps pour voir ceci, mais je crus apercevoir une larme perler sur sa joue avant qu'elle ne vienne se jeter dans mes bras. Finalement, je ne veux plus partir. Mais il le faut.


Ma vie à Acapulco m'a transformé. Au début j'ai vécu chez mon oncle, puis à l'âge de dix huit ans, j'ai quitté le cocon pour voler de mes propres ailes. Sans étude, j'ai dû trouver du travail, un logement. J'ai dû me construire et vivre ma vie comme bon me semblait. Sans aucune pression, ni père tyrannique. J'étais libre et je le suis encore. Barman dans un bar miteux, jusqu'à présent, j'enchaînais les conquêtes et je profitais de ma jeunesse. Mais tout ceci c'était avant que je la rencontre. Enfin, je la connaissais bien avant, j'avais même déjà couché avec cette fille, mais je ne ressentais pas ceci. Mon cœur qui s'emballe à chaque fois que je croise son regard, de la sueur qui perle sur mon front, ma gorge sèche et nouée, finalement comme une sensation d'être malade. Je me rappelle encore lorsque je me démenais face à cette carapace pour lui prouver qu'elle était l'unique.

« Hum, ne me dis pas que tu as un rencard. » « Il est juste en face de moi ... ». Petit sourire charmeur aux coins des lèvres, je ne perds pas la main concernant mes atouts de séduction, même si en sa présence je perds mes moyens. Son index se baladant sur mon torse, je suis soudainement déstabilisé par cette dangereuse approche. Dans ma tête ça sonne comme : ne craque pas, ne craque pas, sauf que ses lèvres vinrent se coller aux miennes. Sacrilège. Je suis emporté par une fougue sans nom qui me transporte dans un autre monde. Le paradis ? Ça doit être quelque chose qui y ressemble, mais où la luxure n'est pas un péché. Je plaque plus fermement mes lèvres aux siennes pour prolonger ce baiser. Un baiser certes sensuel et fougueux, mais avec une touche de passion. Une passion qui n'était pas présente lors de nos précédents échanges. Ou très peu. Je balade ma main dans ses cheveux comme pour envenimer cette passion. Puis, pris d'une soudaine pulsion, mes mains glissent jusqu'à ses fesses pour finalement la soulever. Enfermée dans mon emprise, je la dépose délicatement sur le comptoir de la cuisine tout en déviant mes baisers vers son coup si délicat. Punaise cette fille fait de moi un sauvage.

Au final, je ne pouvais m'empêcher de craquer et de lui sauter dessus sauvagement. Elle m'a changé, elle m'a adoucis, elle m'a fait connaître l'amour avec un grand A. D'ailleurs, elle fut la première à qui j'ai dis « Je t'aime ». La situation portait à confusion, car elle venait de me surprendre avec une autre, une barge collante. Du coup je me suis déballé à elle comme jamais … .

Tellement paniqué, je ne trouve pas les mots pour la rassurer. Oui, rassurer, car ce qu'il vient de se passer n'est rien, de ce fait, elle n'a pas à s'en faire. Je tente de reprendre ma respiration et de me calmer. « Cette ... arg chose ce n'est rien ! Qu'une débile qui s'est tapée l'incruste et pensait que j'étais toujours disponible sauf que .. que je ne le suis pas ! En plus, ce n'est qu'une face de salami, un thon, une larve ... je ... je ne sais pas quoi te dire pour te faire comprendre que la situation est finalement ironique ... ». Je m'emmêle les pinceaux, sors des bêtises et finalement mon discours ne veut rien dire. Voir son visage si triste et son regard vide, me blesse. Je ne veux pas la blesser. Je prends son visage entre mes grandes mains et reste la fixer sans ciller afin de lui prouver ma sincérité. Après quelques secondes de silence, je lui souffle un « Je t'aime ... ». Cette fille est spéciale, voilà pourquoi je lui dédis mon premier je t'aime. « C'est ce que tu dis à toutes les filles qui tombent sous ton charme et qui te surprennes ? ». Je ne m'attendais pas à ce genre de réaction. Je suis comme un con face à elle à ne pas savoir quoi répondre. Pourtant j'ai la réponse. C'est non. C'est la première à qui je le dis et surtout pour qui c'est 100% sincère. Finalement je prends mon courage à deux mains et dans un soupire, je réponds. « ... en fait, tu es la première à qui je le dis .. ». Je me sens nul, à nu et à découvert. J'avais tant rêvé de ce moment lorsque je lui dirais les yeux dans les yeux que je l'aime. J'avais imaginé une autre réaction de sa part. Me sentant rejeté, je n'abandonne pas pour autant. « Rafaelle, je ne sais pas comment te faire comprendre que tu as déclenché en moi des sentiments que je ne connaissais pas jusqu'alors. Je ne savais même pas que je pouvais aimer quelqu'un d'une telle façon ... , tu .. tu me rends complètement dingue et cela dure depuis un moment, sauf que je n'avais pas les couilles pour me jeter dans le grand bain comme tu viens de le faire avec moi. Tu es juste tombée au mauvais moment avec cette dingue, que je connais à peine et qui ne signifie rien pour moi. ». Je prends une pause, il faut bien que je respire, puis je reprends ma tirade. « ... s'il le faut, je répéterais jusqu'à ce que tu me crois ... que je t'aime, oui, je t'aime, je t'aime, je t'aime et ... je t'aime. Putain il n'y a rien d'autre à comprendre .. je .. punaise je deviens fou ... voilà ce que tu déclenches en moi, une folie démesurée, car pour toi je .. je décrocherais la lune. Et s'il le faut, le soleil aussi, puis mars et .. et ... » Ferme-là. De toute façon mon imagination est à court d'inspiration.

Je me suis bien humilié, mais au moins je me suis ouvert à elle. Elle est la première, l'unique, la seule que je n'ai jamais aimé. Elle me rend vivant. Sauf que les belles fins, ce sont pour les films (...)

L'amour rend heureux. Dans mon cas, il me rend également bête, neuneu, romantique, bref totalement à la merci de ma tendre  Rafaelle. Voilà plusieurs semaines que nous vivons notre idylle sans aucun nuage à l'horizon pour venir assombrir ce si joli tableau. C'est agréable d'être comblé à ce point et de vivre sans se soucier du lendemain. D'ailleurs tout est trop beau, trop rose, trop ... parfait. Si parfait que tout être normalement constitué, aurait senti le mauvais présage qui trônait au-dessus de ma tête. Sauf qu'aveuglé par mes sentiments, je n'ai rien vu venir. Ce soir-là, comme chaque vendredi soir, je me rendis chez ma belle. Petit noeud papillon pour le style, chemise et jean, j'aimais soigner mon apparence lorsque je me rendais chez elle. Il m'arrivait même de prendre un bouquet de fleur pour lui offrir. Un véritable gentleman sorti d'un film romantique. Mes proches et amis ne me reconnaissent même plus. J'ai donc tant changé depuis que je partage ma vie avec cette délicieuse blonde. Mais pour elle, je serais prêt à tout. Encore une fois je m'étais armé d'un magnifique bouquet de roses blanches. Malheureusement pour moi, la chance ne semblait pas être à mes côtés. Alors que je m'apprêtais à embarquer dans ma petite voiture toute rouillée, toute moche, toute vieille, celle-ci fit ses caprices et ne voulut pas démarrer. Pas grave, rien ne pourra me déstabiliser, même pas une petite panne. Je suis donc partis à pied jusqu'au domicile de Raf. Sur le chemin, la joie et le bonheur qui m'inondent depuis que j'ai déclaré ma flamme à la belle, me rendent également tout excité. Ainsi je me mis à danser, chanter des chants noël et cela au milieu de l'immense rue vidée de ses passants et conducteurs à cause du verglas et de la neige qui la bloque. Décorations sur le bord des fenêtres, les guirlandes électriques qui illuminent la rue, les étoiles dans le ciel et les quelques flocons qui tombent, l'ambiance est au beau fixe pour une délicieuse soirée en amoureux. Je me vois déjà frapper à sa porte, bouquet de fleur en mains, grand sourire sur les lèvres. Elle qui m'ouvre dans une petite robe aguicheuse, son air de petite coquine sur le visage et une bouteille de champagne attendant d'être débouchée. La soirée idéale avec la femme idéale. Sauf que brutalement le monde fut plongé dans le noir. Le néant total. Quelques bribes de lumières, une alarme ou un bruit assourdissant, des voix d'hommes, rien de concret. Tout est totalement flou, je ne sais plus où je suis, ce qui est arrivé, mais j'entends toujours ses voix qui s'élèvent au-dessus de moi. J'en discerne quelques mots. « Il est mort ? ». Mort ? Je ne peux pas être mort. J'étais tranquillement posté au milieu de la rue à exprimer au monde entier mon bonheur. Je ne comprends plus rien. Je tente d'écouter à nouveau les voix, mais plus rien. Le silence complet.