Le cul entre deux chaises, la troisième roue du carrosse bref… Le troisième frère. Je suis né le même jour que Floyd et Mads, nous sommes des triplés mais ils sont quand même davantage jumeaux que moi. Je suis arrivé en retard, le petit dernier à pointer le bout de son nez et je suis le plus différent. Physiquement, je ne ressemble à mes deux frères. Je suis le seul à avoir été épargné par cette paire de billes bleues, cette barbe de trois jours et ses cheveux noirs en bataille… Mais alors que tout leur ressemble, ils sont complètement différents. J’ai toujours été celui au milieu, celui qui écoute ses deux frères se plaindre de l’autre, celui qui calme le jeu lorsque ça s’envenime au point d’en arriver aux mains. Ils ont toujours essayé de me faire prendre parti en me demandant mon avis sur leurs querelles. J’ai toujours essayé de me contenter de hausser les épaules et de les laisser régler leurs problèmes les deux. Il n’y a encore pas si longtemps que ça – j’ai parfois l’impression que c’était hier – j’ai été le seul à respecter le choix de Floyd lorsqu’il nous a annoncé qu’il partait à l’armée. Qu’est-ce que j’aurais pu dire de plus ? On n’aurait pas pu l’empêcher de toute manière. La preuve, nos parents ainsi que Mads ont essayé mais il est quand même parti. Autant accepter son choix et espérer qu’il revienne en un seul morceau. J’ai toujours été plus proche de Mads que de Floyd. Son caractère est plus renfermé, plus dur alors qu’avec Mads ont s’est toujours bien entendu. On parle même assez facilement.

« On pensait juste que tu choisirais la même voie que ton frère… Celui avec qui tu t’entends. » J’ai toujours détesté la manière de parler de mes parents. Je peux comprendre qu’ils aient de l’ambition pour leurs fils, qu’ils veulent le meilleur pour eux mais ce n’est pas non plus à eux de choisir leur vie. Ils étaient contents lorsque Mads leur a annoncé qu’il voulait aussi faire médecine. Ensuite, mon second frère a fait un autre choix, du coup ils ont reposés sur leurs espoirs sur moi. Mais désolé, le milieu hospitalier n’est pas un milieu qui me passionne. Bien au contraire, moins j’y vais, mieux je me porte. J’ai trop souvent dû passer deux ou trois jours de suite là-bas à cause de mon diabète, je ne vois pas pourquoi j’y irais comme médecin. Et puis… Mes parents savent très bien que ma passion ce sont les livres, que c’est ça qui me tient réveillé très tard le soir, qu’il est impossible de me voir sans livre et que ma chambre déborde d’ouvrages. Pourquoi sont-ils si surpris que j’entreprenne des études dans la littérature ? J’ai de la chance, beaucoup de chance d’avoir réussi dans cette matière car je fais désormais parti de ce genre de personne qui ne vont pas travailler, mais qui vont passer leur journée à faire ce qu’ils aiment. Je ne serais jamais un frustré, je serais toujours heureux de me lever le matin pour me rendre au bureau pour lire des scripts qui n’attendent qu’être édités.

Une semaine. C’est pas grand chose et pourtant… Si ça ne tenait qu’à moi, je la demanderais déjà en mariage. Cette fille me fait tourner la tête et ça ne fait qu’une semaine qu’on est plus où moins ensembles. Mais Mads m’a toujours dis que j’étais trop « rentre dedans » que je m’emballais toujours trop vite avec les filles et que c’est pour ça qu’elles fuyaient et me faisaient souffrir. Il a raison, je le sais, mais je ne peux pas m’en empêcher. A vingt huit ans, j’ai l’impression que cette fois c’est la bonne. Une espèce d’intuition. Notre rencontre n’aurait pas pu être plus hasardeuse que ça. Je me rends seul au cinéma pour aller voir le film adapté d’un de mes romans préférés et au moment de payer mon entrée, la jeune femme derrière le comptoir m’aborde de la manière la plus spontanée qu’il soit. « Ca vous dit de m’attendre après le film pour m’inviter à boire un chocolat chaud ? » J’avais levé les sourcils, désarçonné par ce drôle de petit bout de femme. Elle vient de me demander de l’inviter où je suis sourd ? « Heu… » « Rendez-vous à vingt heures alors ! » Je n’ai pas eu le temps de comprendre quoi que ce soit que la jeune femme passe au client d’après en m’adressant un dernier sourire à faire tomber n’importe quel mec. Inutile de vous dire que je n’ai pas pu me concentrer sur le film une seule seconde. Nous avons passé une sympathique soirée tout les deux. Deux parfaits inconnus qui font connaissance de manière légère et simple autour d’un chocolat chaud. Cette fille est spontanée, pétillante. Elle est un soleil à elle toute seule. Plusieurs fois, elle m’arrache un rire alors que je ne ris que très peu – vieux complexe à cause de mes dents. Elle m’embrasse, appuyés sur le muret devant chez elle. Wow. Je n’ai rien vu venir. On s’est quittés mais on s’est revus chaque soirs de cette semaine. On a visité des galeries d’art, on a parlé littérature et voyages durant des heures entières et chaque soir on s’est quitté par un baiser. Cette fille a beau avoir tout pour elle, elle reste très vague sur son passé. Mais j’essaie de ne pas me formaliser là-dessus car j’ai l’impression d’avoir trouvé la perle rare.